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Jérôme Haas : « Il y a un bug dans le système IFRS »

ifrsLe président de l’Autorité des Normes Comptables explique les critiques aujourd’hui subies par le système comptable international dit « IFRS » et pourquoi ces normes doivent évoluer, de même que leur gouvernance.

Les normes IFRS sont aujourd’hui largement critiquées…

Il y a un « bug » dans le système IFRS. Le nier ne rend service à personne, cela finirait au contraire par amplifier les problèmes. Les normes comptables internationales sont complexes et abstraites. Elles sont très compliquées à mettre en oeuvre mais, surtout, on ne reconnaît plus l’entreprise à travers leur prisme, on ne la comprend plus.

L’information financière est de plus en plus déconnectée de la réalité et de la conduite du business : il y a un décalage, de plus en plus grand, entre ce que font les entreprises et ce que disent leurs comptes car, au lieu de dire simplement ce que vous faites, les normes IFRS veulent dire combien vous valez.

La comptabilité est devenue l’instrument de l’économie, au moment où cette dernière a basculé dans la finance, en ne s’intéressant plus qu’à la valeur des choses. Or, les entreprises ne sont pas seulement à vendre : elles sont là pour le long terme. Le rôle de la comptabilité est de montrer ce qu’elles font, de manière fidèle : elle doit leur tendre un miroir bien orienté.

Aujourd’hui, le miroir est mal tendu et la réalité est faussée, il y a comme un biais, une torsion. Ce n’est pas que mon opinion, ce sont des critiques que l’on entend partout sur la planète.

Mais on a longtemps dit que les normes IFRS étaient « meilleures »

L’hypothèse, souvent cachée, selon laquelle il y aurait une supériorité des normes IFRS sur les normes nationales est très profondément inexacte. Ce n’est pas parce qu’une norme est la plus récente qu’elle est la meilleure : chaque type de norme est fait pour répondre à un type de besoins. Comme on ne met pas des chaussures de marche pour aller nager, les normes internationales sont faites pour les marchés financiers et pas pour autre chose. Elles ont été conçues, préparées et fabriquées uniquement pour les sociétés cotées sur les marchés financiers.

L’idée que les IFRS puissent être faites pour les PME est notamment une escroquerie monumentale. Les PME ont avant tout besoin de comptes simples et de repères stables. 95 % d’entre elles ne sont pas cotées et n’auront rien à voir, jamais, avec le monde des marchés financiers.

Les petites entreprises ont donc tout intérêt à utiliser les normes dites « locales », qui sont faites, depuis leur origine, en connexion avec les droits locaux, civil, social et commercial. Concrètement, c’est à partir des normes comptables locales que l’on peut efficacement distribuer des dividendes, calculer les réserves, faire des statistiques et divulguer des chiffres sûrs. Pas avec les normes IFRS ; quelques pays en font l’amère expérience.

Faut-il alors supprimer les normes IFRS et revenir aux normes locales ?

Le G20 a clairement demandé une norme mondiale, à laquelle j’aspire de tous mes vœux ; mais cela signifie autre chose qu’un corps de normes incomplet et instable, variant au gré des choix politiques et stratégiques du board de l’IASB. Ce dernier n’apporte pas de solutions aux problèmes qui lui sont présentés. La priorité absolue qui a été donnée – en vain – au dialogue avec le normalisateur américain nous a coûté cher en temps et en cohérence.

Aujourd’hui, nous avons passé la période de l’analyse. Il faut agir pour mettre en place un système mieux intégré dans l’intérêt général et présentant plus de sécurité : tous les moyens doivent être utilisés pour réduire la fracture avec la réalité, en s’appuyant notamment sur l’idée de « business model ».

Il faut désormais être non pas conceptuel ou idéologique, mais pragmatique, pour refléter la manière dont les entreprises travaillent. Pour cela, les normalisateurs nationaux doivent désormais être associés au dispositif de production des normes internationales, dans un vrai « réseau » constitué autour de l’IASB.

En tant que principal utilisateur du référentiel comptable international, l’Europe a un rôle essentiel à jouer. Elle doit dire ce dont elle a besoin pour garder un peu de notre génie et faire fonctionner nos économies, qui sont des économies de production et de long terme, pas de marchés financiers et de court terme. Nos normes comptables doivent en tenir compte.

Source : http://business.lesechos.fr

Quid de l’Afrique et de ses normalisateurs ?

Marc AMAND

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